Résumé & conseils :
– Le jeu vidéo est une œuvre protégée par le droit d’auteur
– Il n’existe pas de flou juridique
– Il n’existe pas un guichet central qui négocie les droits auquel vous pouvez adresser
– Vous devez contacter directement l’ayant droit du jeu pour obtenir son autorisation de diffusion
– Il y a un décalage entre la législation et les pratiques réelles des lieux culturels
– D’autres solutions durables et collectives sont à construire, la signature d’un accord de diffusion par exemple.
– Il serait préférable qu’un modèle de négociation des droits, adapté aux usages des lieux culturels et respectueux des auteurs, soit bâti par les associations déjà mobilisés sur la question, afin qu’elles conservent leur indépendance et leurs compétences.
Quelle est la nature juridique d’un jeu vidéo ?
Depuis 1986, le jeu vidéo est reconnu comme une œuvre de l’esprit, protégée par le droit d’auteur (article L. 111-1 du Code la Propriété Intellectuelle).
Jusqu’en 2009, on ne considère que la partie logicielle du jeu puis la Cour de Cassation a reconnu (car c’était un peu réducteur quand même) que le jeu vidéo est une ‘œuvre multimédia’ ou ‘œuvre complexe’. Ce qui veut dire que chaque composante du jeu (logiciel, dessins, sons, scénario, musique, bases de données, vidéos…) est soumise au régime qui lui est propre.
Enfin, dernière couche de la pièce montée, le jeu vidéo oscille entre le statut « d’œuvre de collaboration » (les différents auteurs sont titulaires des droits) ou celui « d’œuvre collective » (l’éditeur dispose de l’essentiel des droits).
En définitive, un jeu vidéo est donc une œuvre protégée.
Existe-t-il un ‘vide’ ou ‘ flou juridique’ concernant la diffusion du jeu vidéo ?
Non, la législation encadre la diffusion du jeu vidéo.
Ce qui prévaut, c’est le Contrat de Licence d’Utilisateur Final (CLUF). Il régit l’usage privé du jeu, en dehors de toute diffusion publique (comme lorsqu’un particulier achète un DVD et ne peut pas l’utiliser hors du ‘cercle de la famille’).
Pour une diffusion dans un espace public, faute d’un système global, il convient de contacter directement l’ayant droit pour obtenir son autorisation.
Qu’est-ce que je risque si j’organise mon événement sans l’autorisation de l’ayant droit ?
Toute diffusion d’un jeu sans l’accord préalable de l’ayant droit constitue une représentation illégale, et donc, une contrefaçon. Cette infraction peut entraîner des sanctions sévères, allant jusqu’à trois ans de prison, 300 000 € d’amende et à la confiscation des éventuelles recettes procurées par les objets contrefaisants.
Est-ce que je suis protégé si j’organise un événement gratuit ?
Non. Si vous n’avez pas l’accord de l’ayant droit, la gratuité n’entraîne aucune protection.
Toutefois, on imagine qu’il vous sera plus facile d’obtenir l’autorisation de l’ayant droit si votre événement est gratuit et construit dans une démarche de valorisation culturelle, plutôt qu’à des fins commerciales.
En général, on observe que, dans la plupart des cinémas, les projections de jeu vidéo sont gratuites, et c’est la projection du film ensuite qui est payante et fait office de billetterie.
A qui s’adresser pour obtenir l’autorisation de diffusion d’un jeu ?
En général, il faut faire sa demande auprès de l’éditeur du jeu concerné.
En effet, dans la plupart des cas, une fois le jeu créé par le studio de développement, l’éditeur est la société qui en obtient les droits d’exploitation commerciale. A noter que c’est parfois le développeur qui édite son propre jeu.
Quelles démarches dois-je faire alors ?
Vous pouvez envoyer un mail à l’éditeur du jeu concerné pour demander une autorisation de diffusion.
Ce mail, en anglais, doit préciser le contexte (projet culturel, enjeux) et les conditions de diffusion (date, heure, adresse, type de lieu, jauge de la salle, public attendu, nombre de séances prévues, tarifs d’entrée).
Soyez précis et exhaustif pour convaincre l’éditeur du bien-fondé et de la plus-value de votre démarche (notamment vos moyens de communication et de promotion du jeu). Anticipez et n’hésitez pas à relancer pour obtenir une réponse avant la tenue de votre événement. Astuce : vous pouvez mettre en copie le développeur du jeu, ils sont parfois plus réactifs (et très heureux que vous mettiez en avant leur création !) et peuvent relayer votre demande à l’éditeur.
En même temps que son autorisation de diffusion, vous pouvez demander une copie du jeu à l’ayant droit.
Précisez la plateforme (ordinateur, console…) qui vous intéresse. Attention à choisir le bon interlocuteur, car un même jeu peut être porté par deux sociétés d’éditions différentes (Ex : une pour l’exploitation du jeu sur PC et Mac, une autre pour la version Switch…).
Souvent, vous recevez un mail avec une série de caractères, c’est la clé numérique que vous devez rentrer dans la console correspondante pour activer et jouer au jeu.
En amont de votre demande auprès de l’éditeur, vous pouvez vérifier les conditions de diffusion qu’il applique à son catalogue. Consultez la section correspondante sur son site (Press, Events, Partnership, Stream, ou Terms and conditions…).
Pour organiser un tournoi de jeu vidéo (esport), y’a-t-il des démarches spécifiques ?
Oui. Vous devez déclarer votre tournoi à l’avance pour les compétitions dans un lieu physique, dotées d’un gain (monétaire, financier, ou sous forme de lots) et nécessitant des frais d’inscriptions pour les participants. Consultez le dossier en annexe de cet article pour plus d’informations.
Si le cadre juridique semble contraignant pour les lieux culturels, pourquoi trouve-t-on autant de jeux vidéo dans les médiathèques par exemple ?
A l’instar des DVD, les médiathèques peuvent s’adresser à des fournisseurs spécialisés pour obtenir des jeux aux droits négociés. Cependant, les coûts sont élevés, l’offre reste très limitée et les droits ne couvrent parfois pas les usages d’une médiathèque (prêt, consultation sur place).
D’autant que ces négociations ne valent que pour des jeux sur support physique alors que le jeu vidéo tend à la dématérialisation.
Donc dans la pratique, les médiathèques n’œuvrent pas toujours dans le cadre légal mais au regard de leur projet culturel, elles bénéficient d’une tolérance de la part des éditeurs.
Pourquoi parle-t-on de « tolérance des éditeurs » ?
Bien que les ayants droit soient conscients des usages illégaux dans les lieux culturels (projections publiques, expositions, consultations sur place, prêts, etc.), ces pratiques ne sont pas une préoccupation majeure pour les éditeurs, qui ne les considèrent généralement pas comme un marché. D’autant plus que ces diffusions se font souvent dans le cadre d’événements gratuits et à vocation culturelle.
Le modèle économique du jeu vidéo est centré sur des utilisateurs privés, dans un cadre domestique et/ou sur des supports portables (téléphone, console de jeu). Ces diffusions supplémentaires, que ce soit dans des lieux culturels ou en ligne sur des plateformes comme YouTube ou Twitch, sont perçues comme des actions de promotion. Ainsi, il est fréquent que les éditeurs tolèrent ces diffusions, parfois même sans en avoir été informés.
Quelles autres solutions peut-on envisager à l’avenir ?
Au-delà du cas par cas, on peut imaginer des solutions collectives :
Certains éditeurs, comme Devolver Digital, permettent explicitement la diffusion de leur contenu, tandis que d’autres, comme Nintendo, imposent des restrictions spécifiques (l’interdiction de mentionner les noms de leurs marques déposées dans votre communication par ex.). Un tableau co-construit et répertoriant ces règles par éditeur, en plus de leur contact, aiderait les diffuseurs à s’y retrouver.
Une autre option serait de signer un accord direct avec l’éditeur pour diffuser l’ensemble de son catalogue. Par exemple, l’association Playful avait conclu un partenariat avec Plug In Digital, qui lui permettait de diffuser ses jeux pendant un an, renouvelable. Ce type d’accord garantit plus de sécurité pour les diffuseurs et favorise les partenariats durables.
Est-ce que des institutions publiques comme le CNC devraient s’emparer de la question ?
Les institutions existantes pourraient jouer un rôle de facilitateur dans la régulation des droits, permettre une meilleure rémunération des auteurs et en s’imposant, éviter l’émergence d’intermédiaires privés cherchant à monétiser ce service.
Cependant, il est aussi essentiel de préserver l’autonomie, l’indépendance et les compétences des acteurs culturels qui travaillent déjà sur ce sujet depuis de nombreuses années.
Conclusion
Sans minimiser la situation précaire créé par l’état actuel du cadre juridique, cet article souhaite encourager la création d’actions culturelles autour du jeu vidéo et réaffirmer qu’elles ont toute leur place dans les cinémas et les médiathèques.
En adoptant une démarche de valorisation culturelle et en créant un dialogue avec les ayants droit dans l’industrie du jeu vidéo, les lieux culturels peuvent faire évoluer la situation et construire collectivement un modèle pérenne, fois adapté à leurs usages et respectueux des auteurs.
Guide de l’organisation d’un tournoi esport – France Esport (2021)
Super état des lieux sur le droit des jeux en bibliothèques – Thomas Fourmeux et Lionel Maurel (2017)